Pandémie de COVID-19 – Impacts sur la pêche artisanale ouest-africaine
Près de six mois après le déclenchement de la pandémie de COVID-19 en Chine, de forts impacts ont déjà été observés dans le secteur de la pêche artisanale le long de la côte ouest-africaine.
En décembre 2019, à Wuhan (province du Hubei, Chine), a débuté l’épidémie de COVID-19, une nouvelle infection à coronavirus, qui a suscité une vive inquiétude à l’échelle mondiale au cours des cinq derniers mois. Depuis son apparition en Chine, le virus s’est en effet propagé dans la plupart des pays, avec une augmentation constante des cas et des décès signalés. L’urgence sanitaire autour du virus a conduit à la mise en œuvre de mesures drastiques de distanciation sociale et de confinement dans le monde entier, qui ont déjà révélé les vulnérabilités socioéconomiques différenciées et depuis longtemps ancrées des personnes face à la pandémie, tant dans les pays développés que dans les pays en développement. Le COVID-19 a récemment été décrit comme un symptôme de la santé fragile de notre planète, résultant de la relation dysfonctionnelle de l’humanité avec la nature et de la dégradation continue des écosystèmes dans le monde, entraînée par le capitalisme sauvage et l’accélération de la mondialisation.
Les mesures de distanciation sociale et de confinement ont déjà eu de profondes répercussions sur l’économie mondiale, et sont déjà considérées comme aussi graves que celles qui ont été affrontées durant la Grande Dépression. Une contraction de l’économie mondiale de 3% est ainsi attendue pour l’année 2020, bien pire que celle de la crise financière de 2008. D’autre part, les mesures de confinement dans le monde ont également entraîné la plus forte baisse des émissions de CO2 depuis le début des mesures, avec une chute des émissions quotidiennes de 17% début avril 2020 par rapport aux niveaux de 2019. Les estimations récentes représentent donc une baisse potentielle de 5% des émissions mondiales de carbone en 2020. Si cette baisse de 5% serait une bonne nouvelle dans la lutte contre le changement climatique, elle reste cependant inférieure aux 7,6% de réduction annuelle des émissions mondiales nécessaires pour atteindre l’objectif de température de 1,5°C de l’Accord de Paris.
Bien que ce ralentissement de l’économie mondiale ait déjà eu des effets positifs sur la faune, y compris les écosystèmes marins, l’ensemble du secteur des fruits de mer frais s’est effondré durant l’épidémie de COVID-19, car les restaurants, les hôtels et d’autres entreprises du secteur ont été contraints à réduire leurs activités, voire à mettre la clef sous la porte. La gravité de la situation a conduit l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à publier une note d’orientation début avril :
“Bien que la covid-19 ne touche pas directement les produits de la mer, le secteur halieutique est soumis aux effets indirects de la pandémie en raison de l’évolution de la demande des consommateurs, de l’accès au marché ou de problèmes logistiques liés aux restrictions imposées aux transports et aux frontières. Cette situation aura, à son tour, des conséquences néfastes sur les moyens de subsistance des pêcheurs et des aquaculteurs, ainsi que sur la sécurité alimentaire et la nutrition des populations qui dépendent fortement du poisson et autres produits aquatiques pour combler leurs besoins en protéines animales et en micronutriments essentiels”.
Depuis que le COVID-19 a été déclaré pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 11 mars, l’activité de pêche mondiale a chuté d’environ 10%. Ces chiffres n’incluent cependant pas les impacts sur la pêche artisanale (SSF), mais seulement ceux affectant la flotte industrielle mondiale, comme le souligne Global Fishing Watch. En fait, alors qu’environ 120 millions de travailleurs dans le monde dépendent directement des chaînes de valeur des pêches de capture commerciales – pêche, transformation et commercialisation – pour leurs moyens de subsistance, plus de 90% opèrent dans le secteur de la pêche artisanale. Dans ce dernier secteur, les effets négatifs observés de la pandémie jusqu’à présent comprennent les fermetures de pêcheries entières, les réactions en chaîne des défaillances du marché entraînées par la baisse de la demande et l’effondrement des prix des fruits de mer, et l’augmentation des risques pour la santé des pêcheurs et de leurs communautés. Dans de nombreuses communautés de pêcheurs, les mesures de distanciation sociale empêchent même certains petits pêcheurs de sortir en mer, car leurs bateaux sont souvent trop petits pour garantir le respect des exigences de distanciation à bord. Le Collectif international de soutien aux pêcheurs (ICSF) a récemment lancé une plateforme en ligne dédiée à l’impact spécifique de la pandémie de COVID-19 sur les pêcheries et les communautés de pêcheurs.
En Afrique de l’Ouest en particulier, le COVID-19 n’aurait pas pu arriver à un moment moins opportun pour certaines des communautés les plus vulnérables, qui sont parfois déjà confrontées à la faim ou aux conflits. Alors que le Sénégal s’est révélé être le pays le plus résilient au COVID-19 en Afrique et le troisième plus résilient au monde, les mesures de distanciation sociale prises pour atténuer la propagation de la pandémie dans le pays ont déjà perturbé le fonctionnement des systèmes de pêche artisanale, dont l’économie du pays dépend fortement. En Mauritanie, la dureté des mesures similaires prises par les autorités dans le secteur des SSF pour contrôler la propagation du virus a conduit à des grèves. En Sierra Leone, les mesures de restriction ont provoqué une émeute parmi les pêcheurs.
En Côte d’Ivoire, mais aussi au Sénégal, en plus des petits pêcheurs, les femmes transformatrices de poisson sont en première ligne des effets de la pandémie sur les chaînes de valeur du poisson. Des situations similaires ont été observées au Ghana et en Guinée, où les chaînes d’approvisionnement et de transformation du poisson sont soumises à de graves tensions depuis maintenant plusieurs mois. La pandémie devrait en réalité aussi aggraver les inégalités entre les sexes dans l’ensemble du secteur des fruits de mer. Dans le sillage de ces situations socio-économiques précaires, la Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA) a récemment appelé ses partenaires à veiller à ce que des mesures soient prises pour aider le secteur de la pêche artisanale à poursuivre ses activités pendant la crise.
Au beau milieu des impacts du COVID-19, certains gouvernements ouest-africains – au Ghana ou au Sénégal notamment – ont en outre récemment fait face aux protestations de petits pêcheurs, pour avoir envisagé d’accorder à des navires étrangers en provenance de Chine et de Turquie des licences pour pêcher de petites espèces pélagiques, considérées comme d’ores et déjà surexploitées. En outre, à un moment où le système actuel de surveillance des pêches est déjà soumis à des pressions, et la profession des observateurs des pêches est de plus en plus confrontée à des risques de disparitions et de décès, la réduction des mesures de suivi, de contrôle et de surveillance des activités de pêche pendant l’épidémie de COVID-19 pourrait ouvrir la porte à davantage de pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN). Veiller à ce que les écosystèmes marins soient exploités à des niveaux écologiquement durables est donc une tâche primordiale pour les gouvernements nationaux, d’autant plus durant la pandémie, et en particulier à la lumière du rôle important que les protéines de poisson jouent pour l’avenir de la sécurité alimentaire.
Louis PILLE-SCHNEIDER
Image d’en-tête: Mamadou Aliou Diallo