Dans un monde sans touristes, les décideurs doivent reconsidérer de manière critique le potentiel de l’écotourisme en tant que mécanisme de financement des activités de conservation.
Depuis la découverte du virus COVID-19 en décembre 2019 à Wuhan (province de Hubei, Chine), le nombre de cas ne cesse d’augmenter au niveau mondial. Dans le même temps, les mesures de quarantaine, de distanciation sociale et de fermeture des frontières prises par les gouvernements du monde entier pour enrayer la propagation du virus ont plongé le monde dans une crise économique bien pire que celle de 2008. Parmi les arguments avancés pour expliquer la transmission du virus des animaux aux humains, on peut citer le commerce mondial des espèces sauvages, l’élevage industriel et la dégradation toujours plus importante des écosystèmes.
Dans le sillage de la crise, le tourisme a été l’un des secteurs les plus durement touchés. Au début de l’année, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) des Nations unies a estimé que le nombre de visiteurs dans le monde pourrait chuter de 60 à 80 % en 2020 en raison de la pandémie, menaçant ainsi des millions d’emplois dans l’un des secteurs les plus intensifs en main-d’œuvre. Toutefois, les effets de COVID-19 ne se font pas seulement sentir dans l’industrie du tourisme et parmi ses travailleurs, mais également dans le domaine de la conservation de la biodiversité.
Au cours des dernières décennies, les programmes de conservation en sont en effet venus à dépendre de plus en plus du financement de l’industrie du tourisme, par le biais de stratégies écotouristiques. L’écotourisme, « un voyage responsable dans les zones naturelles qui préserve l’environnement, soutient le bien-être des populations locales et implique l’interprétation et l’éducation », est de plus en plus développé dans le monde entier afin de générer des revenus pour le financement des programmes de conservation, notamment dans les zones marines et côtières. Bien qu’il soit souvent présenté par ses défenseurs comme une solution gagnante pour à la fois l’environnement et le développement local, l’ampleur des impacts – tant positifs que négatifs – de l’écotourisme pour les communautés doit être évaluée au cas par cas.
L’écotourisme utilise des incitations financières sous forme de paiements pour les services écosystémiques afin d’atteindre des objectifs de conservation. S’appuyant sur une compréhension économique néoclassique de la motivation humaine, les incitations économiques à la conservation devraient selon les théories néoclassiques renforcer la motivation intrinsèque des gens à conserver les écosystèmes (« motivation crowding-in »). Cependant, des études mettent en évidence des situations où la motivation extrinsèque, lorsqu’induite par les incitations économiques, érode la motivation intrinsèque préexistante des personnes à conserver la biodiversité (« motivation crowding-out »). Et ce d’autant plus dès lors que l’incitation économique vient à disparaître.
Dans le sillage de la pandémie de COVID-19 et de ses impacts sur le secteur du tourisme, ceci soulève des questions cruciales quant à la possibilité d’atteindre les objectifs de conservation de nombreuses initiatives basées sur les revenus de l’écotourisme, initiatives qui ne peuvent être viables que dans un contexte d’économie mondiale stable où les voyages ne sont pas limités. En outre, l’écotourisme est souvent promu comme une stratégie de subsistance alternative visant à réduire les pressions humaines sur l’environnement provenant d’autres activités, en particulier à l’intérieur ou autour des aires marines protégées – comme au sein du Parc National du Banc d’Arguin (Mauritanie), le long de la côte du Bénin, ou au Sénégal. Cependant, lorsque le robinet de l’écotourisme vient à se tarir, les personnes les plus vulnérables sont confrontées à un risque socio-économique accru. La forte dépendance de projets de conservation locaux à des marchés mondiaux de plus en plus instables appelle donc de nouvelles initiatives innovantes qui vont au-delà de la seule utilisation d’instruments de marché.
Si vous souhaitez en savoir davantage sur les impacts de COVID-19 sur le tourisme littoral et marin, veuillez vous joindre au webinaire sur le sujet, organisé conjointement par Seven Seas Media et OCTO le 9 septembre 2020.
Louis PILLE-SCHNEIDER
Image d’entête : Coucher de soleil sur les Banana Islands en Sierra Leone
(Olivia Rempel, GRID-Arendal)